Le son binaural : effet bling bling ou révolution sonore ?

podcast son binaural casque or
Reproduction du casque d’un des membres de Daft Punk

Récemment de nombreux studios de podcasts se démarquent de la plèbe des podcasteurs indé avec notamment la monétisation par les annonceurs, mais aussi avec une toute nouvelle technologie de pointe : le son binaural. Dernièrement, le studio Bababam a sorti le podcast de fiction « Noises » qui vend les mérites d’une narration décuplée d’intérêt grâce au son binaural. Ce ne sont pas les premiers à se lancer dans cette technologie du tur-fu, puisque de nombreux studios se l’arrachent comme la 3d au cinéma multiplex.

Mais la 3D sonore, est-ce vraiment une valeur ajoutée pour la narration audio ? Ne pouvons-nous pas nous contenter de la bonne vieille stéréo qui suffit largement à raconter une histoire ? Est-ce une technologie pour des podcasts de certains genres en particulier et superproductions ? D’abord, voyons voir de plus près ce qu’est le son binaural si vous le voulez bien.

Le binaural vulgarisé

Parce qu’un son vaut mille mots, cliquez d’abord sur ce lien : virtual barber shop !! Une des plus célèbres démonstrations d’expérience sonore en binaural qui a drainé plus de 30 millions de vues,nous transporte chez le barbier comme si nous y étions rien qu’en fermant les yeux.

Le son binaural reproduit l’écoute naturelle de manière à situer le son dans l’espace et arrive contrairement à la stéréo, à repérer les sons et leur timbre ainsi que leur champs de profondeur quand ils passent à côté de vous : en dessous quand le métro vibre sous vos pieds, ou au-dessus de vous quand les avions frôlent le ciel. Le son binaural comme le son est enveloppant, mais il permet à l’auditeur de se mettre dans la peau du narrateur comme s’il vivait l’histoire à sa place : mêmes perceptions auditives que le héro avec ses oreilles. Cette technologie procure une sensation de réalisme « in situ » qui peut donner des frissons à la manière de l’ASMR qui titille certaines parties du cerveau, (Autonomous Sensory Meridian Response) car elle apporte une dimension vibratoire et sensorielle supplémentaire à l’ouïe. N’oublions pas que le son est une onde sonore qui se propage de votre oreille à votre cerveau en spatialisant l’information qui bouge, retentit. Et c’est pourquoi le son binaural est incroyable : il reproduit à la perfection les mouvements de ce bruit. D’où le terme « immersion », que l’on entend souvent pour définir le son binaural, qui chatoient l’ouïe en filtrant les sons selon leurs provenances.

Son binaural, couleur des sons et David Hockney
« More felled trees on Woldgate » de David Hockney, 2008

L’enregistrement peut se faire soit en mettant des micros implantés dans les tympans et l’ouïe des protagonistes. (d’où la sensation d’être dans les oreilles de…) Soit en reproduisant le processus d’écoute physique par de savants calculs mathématiques que nous n’expliquerons pas ici car nos connaissances en physique et en accoustique sont limitées…

En bref, le son binaural est pour l’univers audio ce que la réalité augmentée est au jeu vidéo. Le mode d’écoute se fera à l’aide d’un casque audio, tandis que l’autre se fera avec un casque de réalité virtuelle. Une expérience utilisateur au top comme disent les UI/UX designers, puisque la sensation de réalisme est réussie!

Quand les plus grands s’y mettent

Bien sûr, Arté Radio et Radio France furent les précurseurs du format podcast natif en France. Arté a notamment produit des pastilles sonores ludiques pour plonger immédiatement l’auditeur.ice dans des univers hors du commun avec « Dans la tête » : ce podcast natif de moins de 3 minutes en binaural permet de se mettre dans la tête d’un dentiste, d’une skieuse, d’une personnes aveugle ou d’un batteur… lancé en 2015 c’est tout simplement une expérience kiffante.

Le service public et plus spécialement France culture s’est mis aussi avec des fictions et des séries comme « Hasta dente » ou « l’appel des abysses » et plus récemment « Dreamstation« . Ayant de plus gros moyens que n’importe quel studio, malgré toutefois leur restrictions budgétaires importantes pour les années à venir, il était certain de les attendre au tournant… Quant aux studios 100 % natifs, Louie Media tente le binaural pour de l’interviews cette fois, dans son podcast « Manger » (anciennement plan culinaire) pour décupler les papilles en cuisine avec le son des casseroles venant frôler vos écoutilles et déclencher la synesthésie…

hasat dente podcast
Feuilleton de podcast natif sur France Culture

Vous l’avez compris, le son binaural est à la mode et tous les studios de Pariwood se l’arrachent pour offrir à ses auditeurs une expérience sonore extraordinaire. Mais cet effet est-il vraiment spécial et garant du succès?

Un succès relatif : le scénario avant tout !

Pourtant si les podcasts de fiction en son binaural sont épatants, ils ne comptent pas parmi les meilleurs chiffres en terme d’audimat. Car non seulement au bout de 5 minutes on s’en lasse vite ou on l’oublie. (comme au cinéma quand au bout de 15 minutes on tente d’enlever les lunettes 3D parce que l’effet s’estompe avec l’habitude) Mais en plus chez certains, cela peut entraîner une sensation de gêne ou d’intrusion à l’écoute. Car le son au casque peut être dissonant par rapport aux sons qui se produisent dans la réalité que vit l’auditeur dans son quotidien : imaginez un mur s’écrouler surgissant dans vos oreilles pendant que vous êtes dans les transports en commun ou en train de cuisiner… Et si l’on se veut l’avocat du diable, il se peut même que ces effets sonores de passe passe puissent dévier l’auditeur de l’histoire car son cerveau sera parasité par les sons environnement plutôt que de se focaliser sur les dialogues… Il faut donc des conditions physiques d’écoute calme à l’écart de la foule, dans un endroit plutôt confiné pour profiter pleinement de l’expérience et être attentif à 100%. Ce qui n’est pas encore donné à l’heure de la baladodiffuson…

Mais revenons à nos chiffres et à nos moutons. Prenons l’exemple de success story de podcasts aux Etats-Unis, les number one du podcast dans le monde. Les séries qui ont battus des records d’audience sont « Serial » et la série « The message » qui, à votre grande surprise, n’utilisent pas la technologie binaurale.

Le premier est un reportage mené par la journaliste Sarah Koening qui réouvre l’enquête du meurtre d’une adolescente par son petit ami de l’époque en 1999. Ce fait divers s’est réellement déroulée à Baltimore et a été mis en lumière par la journaliste du fait du manque de preuves tangibles dans cette affaire, qui pourrait bien être une erreur judiciaire condamnant un innocent derrière les barreaux. La qualité sonore est bien loin d’être le critère déterminant du podcast et c’est bel est bien la manière d’amener l’enquête qui a fait le succès de la série. L’ambiance propulse l’auditeur dans un véritable thriller aux côtés de la journaliste qui partage ses notes, fouille, téléphone auprès d’avocats, s’entretient avec plusieurs témoins, remue ciel et terre pour connaître la vérité auprès de la police, de la justice, de l’accusée. Elle égrène avec l’auditeur tout le long de l’enquête ce qui rend le récit progressif et d’autant plus haletant puisqu’on la suit presque en temps réel dans cette enquête. Où des millions de personnes avec plus de 100 millions de téléchargements se sont enjaillées pour Serial qui a d’ailleurs réussit à remettre au grand jour cette affaire non-élucidée.

Sérial podcast d'investigation
Le podcast « Serial » a réouvert le dossier et un nouveau procès pour Adnan Syed, accusé du meurtre de Hae Min Lee

« The Message » quant à lui, est une série de science-fiction avec plus de 4 millions d’écoutes qui lui non-plus, n’a pas fait l’usage de son binaural. Pourtant, le format science-fiction s’y portait bien ! On peut dire que le succès de ce podcast repose principalement sur le talent du scénariste Mac Roger et de la réalisatrice Rachel Wolter qui transporte et plonge l’auditeur dans un docu-fiction amené par la protagoniste fictive et journaliste. Elle sera la passeuse entre le public et une équipe de scientifique essayant de décrypter un message alien d’il y a 70 ans… Le soin est apporté à l’histoire de chacun des personnages plus vrais que nature, ayant chacun son histoire, sa personnalité, ses objectifs. Mais c’est aussi grâce à la réalisation qui amène graduellement l’auditeur dans une ambiance angoissante et le dispositif d’une mise en abyme du podcast dans le podcast, du message dans le message…

Vous l’avez bien compris, un podcast en son binaural sans scénario, c’est comme le dernier Endgame des Avengers… Les effets spéciaux à gogo ne sont pas les garants d’une bonne histoire qui vous porte aux tripes. D’ailleurs, le petit dernier de France Culture Projet Orloff sorti en septembre dernier et à la réalisation sonore classique commence à très bien décoller…

Si en France l’industrie du podcast est à ses débuts, la production de « fiction » est encore à ses balbutiements du fait de son coût de production élevé. La plateforme Sybel se voulant le Netflix des séries audios, a levé 5 millions d’euros cette année 2019. Dont 2 millions seront dédiés à une trentaine de créations originales. Parmi celles-ci, la plateforme favorisera-t-elle les effets spéciaux apportés par le binaural dans ses séries ou accordera-t-elle plus d’importance à la narration et au storytelling porté par une pool de scénaristes ? Nous espérons qu’elle optera pour le second choix. Nous réacs? Nooooooon !

Dans tous les cas, nous attendons avec impatience LE podcast français qui saura allier avec brio la technologie binaurale au service d’un récit intelligent, divertissant et avant-gardiste. Peut-être existe-t-il déjà à vos yeux ? N’hésitez pas à nous partager votre avis et à nous corriger en terme de technique binaurale ! Car à défaut d’être aveugles, on est surtout à l’écoute chez dire-son ! 😉

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