Documentaire sonore : L’écho de mon cousin Djo

Cette illustration est signée Sophie Rogg

Ce documentaire commence par la lecture d’une relation épistolaire d’une cousine – Anna, avec son cousin Johan, détenu à la prison pour hommes de Rennes. Quand j’ai rencontré Anna pour la première fois, elle avait ce sourire malicieux et ces yeux noirs et profonds qui la caractérisent bien. Participante et lauréate de la bourse « Brouillon d’un rêve » 2019, elle arrive avec sa valise à roulette venue d’Ardèche parmi les derniers arrivants. Nous sympathisons du fait que nous sommes toutes les deux de Rhône-Alpes et surtout car nous avons un point commun : celui de la radio associative. Quand elle avait 8 ans, sa famille est restée 2 ans à Hawaï, d’où elle s’enregistrait déjà pour envoyer des nouvelles à sa famille et ses amis à travers l’émission « Bonjour la France ! » 🙂

« Brouillon d’un rêve« , un concours dédié aux auteurs.trices pour la création d’oeuvres audios, vidéos, littéraires… qui attribue chaque année à quelques candidats des bourses d’aide à la création donc, est la concrétisation de ce projet qu’elle avait couché sur le papier, diffusé sur « Expérience », d’Aurélie Charon sur France culture.

Quand j’ai écouté son documentaire de 58 minutes il y a quelques mois, je n’ai pas vu le temps passer. Non seulement l’histoire de son cousin Johan est impressionnante, car elle est bien plus que le point de vue d’un jeune homme sensible adopté et déraciné. En effet, ce cousin, cet alter ego au destin bien différent du sien, communique à travers sa cellule et lui parle de son pays natal auquel il a été arraché, au-delà de la perte de ses parents. Ce documentaire est la voix d’une quête d’identité et d’amour. Il soulève aussi la question du destin et du hasard, du libre arbitre selon les moyens que l’on a au départ…

Discussion avec Anna Gigan

Anna Gigan

Est-ce que tu peux nous parler de ta relation avec ton cousin Johan, colombien adopté par ton oncle et ta tante à 4 ans ?

J’ai rencontré mon cousin le premier jour où il a posé les pieds sur le sol français, nous étions allés chercher lui et ses parents, avec mon père, à l’aéroport Charles de Gaulle quand il revenait de Colombie. J’étais un peu plus grande que lui, mais je m’en souviens bien, parce que c’était un grand moment. Ses parents étaient très émus.Ils sont restés quelques jours chez nous, à Paris, puis ils sont partis à Nantes commencer leur nouvelle vie. On se voyait pas beaucoup mais il y avait un lien invisible, compte tenu de nos histoires communes. Mais dans la vraie vie, c’est d’ailleurs dommage, on ne se retrouvait que dans les fêtes familiales….

Tu es allée en voyage en Colombie et c’est ce qui a débuté votre correspondance. Peux-tu nous dire comment avais-tu envisagé ce voyage à la base et cet échange ?

En fait, ce qui est fou, c’est que ce voyage s’est organisé indépendamment de ma volonté et sans aucun lien avec Johan. Le hasard a fait que je me suis retrouvée là où il est né à Manizales. Pourtant c’est grand la Colombie… Des copains musiciens m’ont proposé de venir avec eux en « tournée » et tous nous héberger dans sa famille colombienne. Je me suis dit que j’allais aussi en profiter pour capter des sons, et faire des émissions de radio pour Vogue Le Navire (son émission radio sur (RDBFM). J’ai repris contact avec Johan à mon retour. J’ai demandé l’adresse de la prison à mon frère qui était en contact avec lui ( ils ont habité ensemble ). Je lui ai raconté mon voyage, un peu de son pays, mes impressions – et je lui ai posé une tonne de questions…

Quels sons lui as-tu envoyé ? Et pourquoi ce support plutôt que des photos ?


J’ai enregistré des sons d’un moment chez un coiffeur avec la radio derrière, je trouvais ça bon, et vraiment en immersion. J’ai pris aussi des ambiances, des sons de la rue qui grouille, de groupes de musique qui jouent partout, les impressions du pays de mes potes et de la famille colombienne de ma copine, des captations sur un marché, la vie quoi ! J’ai choisi ce support car j’aime le son, ça fait partie de ma vie. Je faisais déjà de la radio, des podcasts et installations sonores. 

Plaza de Mercato à Manizales en Colombie. Photo de Diana Rey Melo 

Depuis quand fais-tu de la radio?

Quand je suis arrivée en Ardèche, la première fois en 2014, je suis allée dans une radio Locale (Radio Des Boutières) pour assister à l’enregistrement d’une émission sur le blues que faisait un copain musicien. Le responsable de la radio me voyant très intéressée me dit « Dis moi, tu as l’air d’aimer la radio, on est en train de changer toute la grille des programmes, si ça te dit de penser à une émission, vas-y n’hésite pas ». Et du coup j’ai écrit sur le mouvement, pour illustrer mon mouvement de Paris vers l’Ardèche ;  grâce au truchement des autres.. Comment le déplacement d’un endroit à un autre nous transforme, nous inspire, nous questionne… Ca a été comme un labo pour moi : j’avais la liberté pendant une heure d’ondes de creuser ma thématique, d’expérimenter des choses… Ensuite en 2016, je suis partie vivre 2 ans à Bordeaux – et pour ne pas arrêter cette émission « Vogue Le Navire » je me suis équipée d’un Zoom et j’ai commencé les captations, les créations sonores, le montage, le mixage… J’ai aussi travaillé avec une chorégraphe et ses danseurs sur la création sonore d’un spectacle, réalisé des bandes sonores pour le printemps des poètes. J’ai appris sur le terrain quoi.. Et la troisième étape dans ce processus a été « Brouillon d’un rêve« . Penser, écrire un projet avant de le réaliser, c’est un travail beaucoup plus « intellectuel  » je dirais moins « sensuel » dans son approche peut-être. 


Etait-ce pour toi cathartique d’écrire ce projet vu que tu as aussi été adopté bébé ? Tu restes très discrète sur ton ressenti malgré l’émotion qui se dégage de cette création, dont ton cousin est le protagoniste.

Oui, en quelque sorte ! J’avoue que j’ai beaucoup pleuré pendant l’écriture… Surtout sur la musique de Barbara « Dis, quand reviendras -tu? » que mes parents écoutaient et que j’adore plus que tout. Je la mettais à fond, en boucle et je dansais, j’écrivais, ça me transportait vers Johan petit. Je l’imaginais tout seul sur un banc, en train d’attendre sa maman qui revenait jamais, c’était comme si tout d’un coup j’étais dans sa peau qui était aussi la mienne ; que je sentais ce vide, ce manque de je ne sais quoi… Enfin si je sais : de la base en fait ! Cette attente de quelque chose qui ne vient jamais et qui en même temps te pousse à être là où tu es. C’est fort, c’est même dur de repartir sur autre chose après… 

Savais-tu lors de l’écriture où elle te mènerait ? Quelles problématiques voulais-tu faire ressortir principalement au départ ?

Non, pas vraiment. au début, j’ai écrit, écrit, écrit, des choses qui me venaient. Puis après, j’ai fait le tri et le fait d’être dans ce cadre du concours, m’a aidé à structurer. C’était la première fois dans ce sens là de d’abord écrire avant de faire le son. Normalement j’écris au montage / mixage ; Alors c’était dur au début de trouver le fil ! J’ai demandé l’avis à des copines qui connaissent l’exercice, mais pour l’image. Elles m’ont poussées à être plus claire et à ce que je m’implique plus dans ce que je voulais dire. Les problématiques sont arrivées dans un second temps  :

 » comment écrire son histoire quand on en connaît pas le début, comment se trouver quand on est déraciné, comment se laisser aimer quand on est adopté… »

Anna Gigan, autrice de « L’écho de mon cousin Djo »
Photo prise par Anna Gigan de Manizales

Qu’est-ce que t’as appris cet échange et cette expérience sur toi?

Qu’on ne fait rien seul. Comme c’est important de se sentir soutenu, entendu, dans la vie. Je crois que Johan a ressenti la même chose et que ça été important pour lui de pouvoir exprimer tout son ressenti librement sans se sentir jugé. Quant à moi je ne suis pas sortie de l’auberge. Je ne me suis pas encore vraiment apprivoisée car cette histoire m’a renvoyée à la mienne et à mes failles. Je me suis rendue compte que ma relation à l’amour n’était pas simple : la question de l’abandon surgit encore souvent dans ma vie. J’ai du mal à me laisser aller, à me laisser aimer. Je trouve que dans les chansons de Gainsbourg c’est très bien illustré dans la javanaise par exemple  » la vie ne vaut être vécue sans amour, mais c’est vous qui l’avez voulu mon amour » ou « fuir le bonheur avant qu’île se sauve » lui aussi, on dirait qu’il a peur… Je crois que la blessure d’être abandonnée est quelque chose que l’on peut dépasser mais pas complètement. Il y a eu à un moment un départ définitif : c’est à dire que c’est comme si on savait que ça pouvait arriver, que la personne la plus importante disparaisse, et que cela nous laisse en survie peut-être ? On n’a pas envie de revivre ça, je crois ! A la fois ça rend très fort aussi mais le doute, la peur du couple sont des choses avec lesquelles je dois composer. Mais bon, j’avance.

Qu’en est-il de Johan actuellement et peux-tu me parler de ce making-off qui n’a pas dû être simple du fait que ton cousin est en prison ?

La très bonne nouvelle, c’est que Johan, risque de sortir avant l’été de prison ! Si tout va bien. Il fait régulièrement des sorties à l’extérieur. Il a été sélectionné pour participer à un trail de 61 km et il passe son permis !! Après 7 ans de prison, c’est assez vertigineux. Il se sent confiant, et réfléchit beaucoup au futur. Son rêve était de retourner vivre en Colombie… Je ne sais pas où il en est par rapport à ça. Il est étonnant dans sa façon d’aborder les choses, de les analyser, il est solide, déterminé, organisé. Je suis assez admirative et personnellement, je suis trop contente de la relation naissante, c »est plus que ce que j’imaginais !

Coté making-off, ça s’est bien passé parce que le personnel pénitentiaire a été bienveillant et conciliant. On a pu circuler sans problème dans la prison, après avoir fait toutes les demandes d’autorisation et passé tout le matériel au crible.. Côté réalisation, j’ai eu la chance d’être avec une équipe expérimentée de France Culture, alors ça été fluide. Quand au montage / mixage c’était la première fois aussi que je ne faisais pas seule. C’était une chouette expérience et ça motive pour le futur, voilà…faut penser à une suite maintenant !

Merci beaucoup !

De rien du tout ! Merci à toi !

En espérant que la voix de Johan à travers le micro d’Anna fera aussi écho en vous. Car c’est un récit double qui retentit malgré la carapace d’Anna, en chacun de nous. Il a le courage d’énoncer les émotions avec simplicité et humilité, quand il s’agit de se mettre à nu et d’évoquer ses sentiments. C’est aussi la générosité malgré la perte et la crainte de la disparition, qui déborde dans cet entretien confiné au centre de détention de Rennes. Une histoire de liens invisibles qui nous tiennent tous et qu’on a peur de rompre : cousins, pairs, amis, appartenance… A l’heure du confinement, « L’écho de mon cousin Djo » est une ode à l’espoir lorsqu’on se sent perdu et une belle leçon de vie sur l’introspection lié à l’enfermement.

Pour l’écouter c’est ici : https://www.franceculture.fr/emissions/lexperience/l-echo-de-mon-cousin-djo

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.